Les manuels scolaires peuvent-ils véhiculer la paix au Moyen-Orient ?
Par Nathalie Avisar, Jerusalem Post, French Edition*
6 décembre 2006

Le public israélien n’a qu’une vague idée de ce que les enfants palestiniens apprennent sur les bancs de l’école. Il ignore en particulier ce que leurs livres d’histoire ou de géographie disent sur la région. Et pourtant, ce sujet de première importance fait l’objet de recherches approfondies.

Créé en 1998, le Centre pour le suivi de l’impact de la paix (CMIP) s’attache à décrire le contenu des manuels scolaires diffusés au Moyen-Orient. Cette organisation non-gouvernementale internationale, dont le centre actif se trouve à Jérusalem, a réalisé une dizaine de rapports analysant les ouvrages utilisés dans les écoles et collèges d’Egypte, d’Arabie Saoudite, de Syrie, d’Israël sans oublier l’Autorité palestinienne. Elle est dirigée par Yohanan Manor, un énarque établi en Israël depuis 1957, dont le parcours de chercheur est étroitement lié à la cause de son pays. Cet arabisant passé par les bancs de Langues O, qui a consacré son doctorat à la politique de Nasser à l’égard de la Palestine, a enseigné l’administration publique à l’université hébraïque de Jérusalem, dirigé le service de l’information de l’organisation sioniste mondiale, orchestré la campagne internationale visant à abroger la résolution des Nations unies assimilant sionisme à racisme votée en 1975, et officié comme directeur de recherche au sein de l’Agence juive pour le programme Aliyat Hanoar. Auteur de l’ouvrage Les Manuels scolaires palestiniens – Une génération sacrifiée (Berg International, 2003), Yohanan Manor s’exprimera mercredi 6 décembre sur le sujet, dans le cadre du cycle de conférences de l’Institut français (1). Dans un entretien au Jerusalem Post édition française, il explique les enjeux de cette bataille de mots, de cartes et d’images dans les salles de classe.

– Suite aux accords d’Oslo, l’Autorité palestinienne a obtenu le droit de gérer son propre système scolaire. Auparavant les élèves de Gaza ou de Cisjordanie utilisaient des manuels scolaires égyptiens et jordaniens dont les références les plus antisémites et antisionistes ont été éliminées par Israël à partir de 1969. Quels messages véhiculent les nouveaux manuels introduits dès 1999 ?

– Globalement, ils continuent à véhiculer l’illégitimité d’Israël et des Juifs en Palestine. On peut lire que la Palestine est et n’a jamais été “qu’arabe et musulmane”, que les Juifs ne sont pas les habitants légitimes de ce pays, qu’ils sont au mieux des étrangers de passage. Autre postulat : les seuls habitants authentiques et légitimes de ce pays sont les Arabes musulmans, descendants directs des “cananéens arabes”. Tandis que les Juifs n’ont jamais vraiment eu de présence ou d’histoire dans ce pays. Aujourd’hui encore ils ne sont pas dénombrés parmi ses habitants. Par ailleurs, dans ces manuels, il n’y a pas de lieux saints juifs, mais seulement des lieux saints musulmans usurpés par les Juifs. Le plan de partage de 1947, qui a recommandé la création d’un Etat arabe de Palestine et la création d’Israël en 1948, est qualifié “d’occupation”. Enfin, Israël ne figure sur aucune carte. C’est le nom Palestine qui apparaît à sa place. Le territoire d’Israël n’est jamais désigné comme tel, mais dénommé “terres de 1948”, “intérieur” ou “Ligne verte”.

– Vous retrouvez aussi la trace de stéréotypes vis-à-vis des Juifs et d’Israël ?

– Il n’y a pratiquement jamais d’informations objectives sur les Juifs, le sionisme et Israël. Dans l’histoire, les Juifs sont présentés comme fourbes et ennemis de Jésus et de Mahomet. Aujourd’hui, ils sont dépeints comme des assassins. Le sionisme est décrit comme un mouvement colonial lié à l’impérialisme occidental qui a expulsé et exterminé les Palestiniens. Les Protocoles des sages de Sion ont été présentés comme une des résolutions secrètes du premier congrès sioniste. Tous les maux affligeant la société palestinienne, y compris la violence familiale, sont imputés à Israël. Les Palestiniens n’ont jamais de responsabilité dans les mesures prises par Israël.

– Toutefois, vous relevez aussi des changements positifs dans ces nouveaux manuels…

– Il faut en effet citer quelques nouveautés importantes. Dans un manuel de grammaire datant de 2003, on peut lire la phrase : “Il est bon de mourir pour sa patrie. Il est meilleur de vivre pour elle.” L’année suivante paraît un manuel citant quelques lignes des accords d’Oslo, avec la reconnaissance mutuelle entre Israël et l’OLP. On a également trouvé un manuel publié en 2005 faisant état de l’histoire antique des Juifs en Palestine. Une autre bonne surprise tient à la présence d’un texte présentant le sionisme à partir de citations de David Ben Gourion. Il faut reconnaître qu’il s’agit là d’un précédent sans équivalent dans le monde arabe. Faut-il y voir l’influence d’Abou Mazen [Mahmoud Abbas] ? C’est possible. Pour autant, ces changements positifs font figure d’exceptions. Dans l’ensemble, la coexistence et la paix avec les Juifs et Israël ne sont jamais préconisées. Les accords d’Oslo sont présentés comme une simple phase dans la libération de la Palestine. Par ailleurs, l’aire à libérer n’est jamais explicitement limitée aux territoires palestiniens saisis par Israël en 1967, mais concerne implicitement tout le territoire israélien. Le Djihad et le martyre pour libérer la Palestine sont glorifiés. Enfin, les auteurs d’attentats terroristes contre des civils israéliens sont loués.

– Les manuels scolaires israéliens sont-ils davantage favorables à la coexistence avec les Palestiniens ?

– En tout cas, ces manuels comportent une présentation sans préjugé de l’Islam et des Arabes. A l’exception de certains textes de très mauvais goût diffusés dans le réseau ultraorthodoxe, qui assimilent par exemple les Arabes à des voleurs, les manuels israéliens donnent une vision déférente de l’Islam, de son prophète, de ses cinq piliers, de ses principaux lieux saints, ainsi que de son attachement profond à Jérusalem et la Terre sainte. La contribution des Arabes à la civilisation est soulignée. Un manuel du secteur public religieux souligne par exemple que les Arabes “furent les premiers à découvrir les maladies infectieuses, et à bâtir des hôpitaux publics”. Un manuel pour des élèves de treize ans invite à repérer, pendant l’année scolaire, des idées préconçues, du genre “Les Juifs dominent et exploitent le monde, les Noirs sont inférieurs et incapables d’être des scientifiques, les Arabes ne comprennent que le langage de la force”. Les ouvrages mentionnent les lieux saints musulmans de Jérusalem ou Hébron, on reconnaît les Arabes de Palestine comme Palestiniens, ayant une conscience nationale spécifique, et pas simplement comme membres de la nation arabe. Ils donnent une légitimité au mouvement national palestinien. Certains sujets épineux sont abordés tels que les causes de l’exode des Palestiniens, on présente le point de vue de l’adversaire dans ses propres termes. Et bien entendu, les manuels israéliens relatent les accords d’Oslo dans leurs implications politiques et territoriales.

– Le gouvernement Hamas entraîne-t-il de nouvelles modifications ?

– Il est encore trop tôt pour observer l’influence du Hamas au sein des manuels scolaires, qui nécessitent deux à trois ans pour leur conception. Cela dit, nous sommes en train d’étudier un magazine pour la jeunesse diffusé sur Internet, et lancé à l’initiative du mouvement islamiste. D’ici à deux mois, nous pourrons en livrer une analyse de contenu…

– Quelle est la marge de manoeuvre dont dispose la communauté internationale, et notamment les bailleurs de fonds, dans ce domaine ?

– L’Unesco est totalement paralysée, car sa constitution interdit l’ingérence dans les affaires intérieures de ses pays membres ou de ses membres associés comme l’Autorité palestinienne. Et pourtant, on peut faire évoluer les choses. Le CMIP a notamment obtenu
que soit gommée la référence aux Protocoles des sages de Sion, comme la supposée résolution secrète du premier congrès sioniste, dans un manuel financé par la Belgique. Mais en fait, la communauté internationale, y compris la Banque mondiale qui paye l’impression des manuels scolaires palestiniens, n’a pas défini de critères clairs. On pourrait pourtant proscrire les passages incitant à la haine, glorifiant la violence et guerre. Et favoriser les textes qui prônent le respect de l’autre et le règlement négocié des conflits.

– Le CMIP a récemment consacré un rapport entier à l’Iran. Quelles en sont les principales conclusions ?

– Le tableau d’ensemble qui se dégage des manuels scolaires iraniens est de mauvais augure. Ces manuels révèlent une hostilité intransigeante contre l’Ouest, au premier chef contre les Etats-Unis et Israël. De fait, le but déclaré du programme scolaire iranien actuel est de préparer les élèves à une lutte globale contre l’Occident comportant des éléments d’ordre messianique extrêmement alarmants puisqu’ils vont quasi ouvertement jusqu’à l’autodestruction.

– Que répondez-vous à ceux qui reprochent au CMIP de ne pas favoriser l’action sur le terrain et le dialogue avec des collègues palestiniens ?

– Notre but n’est pas de faire plaisir aux Palestiniens mais d’étudier ce qui est écrit dans les manuels dans la région. En 1999, nous nous sommes rendus à Ramallah pour rencontrer les représentants du ministère de l’Education. Nous nous sommes aussi retrouvés à Paris. Le CMIP a fait des recommandations relayées par la commission européenne, mais le contexte politique s’est dégradé et le processus a été stoppé. Dans tous les cas, ce n’est pas la composition des équipes qui garantit l’objectivité des travaux. L’important ce n’est pas d’avoir un collègue palestinien dans nos groupes de recherche, mais de fixer des critères rigoureux et de nous y tenir.

* All Rights Reserved to the Jerusalem Post, French Edition